L'impact de la rétroaction verbale des pairs sur l’amélioration des compositions écrites en français langue seconde par des éleves forts et faibles de la 5E Année en Immersion française

Sylvie Blain

Université de Moncton

Les élèves apprenant le français langue seconde (L2) dans le contexte de l'immersion en arrivent généralement à des niveaux de compréhension orale et écrite semblables à ceux de leurs pairs francophones, mais ne réussissent pas aussi bien en ce qui a trait aux habiletés de production tant à l'oral qu'à l'écrit (Calvé, 1991; Collier, 1992; Genesee, 1987; Rebuffot, 1993; Vignola et Wesche, 1991). En tant qu'enseignante, j'ai connu les difficultés et les frustrations de la correction des textes dont la compréhension était rendue difficile à cause des erreurs trop nombreuses. De plus, malgré l'attention que j'accordais à la correction, je constatais que mes élèves ne retenaient à peu près rien de cette rétroaction, les mêmes erreurs revenant d'un texte à l'autre.

Je me suis donc interrogée sur les bienfaits possibles de la rétroaction verbale des pairs (peer response group) en constatant les effets significatifs sur l'apprentissage de l'écriture tant chez les enfants du primaire et du secondaire que chez les adultes (Ammon, 1985; Connor et Asenavage, 1994; Mendonça et Johnson, 1994; Nelson et Murphy, 1993; Samway, 1987; Urzua, 1987). . Puisque aucune recherche n'a investigué les effets des groupes de révision rédactionnelle (GRÉRÉ) dans le contexte de l'immersion, j'ai tenté de répondre aux trois questions suivantes :

1) Les commentaires des pairs émis lors des GRÉRÉ se retrouvent-ils sous forme de révisions dans les textes subséquents?

2) Les révisions (qu'elles soient suscitées ou non par les pairs) contribuent-elles à l'amélioration de la qualité de l'écriture?

3) Les effets sont-ils semblables ou différents selon le type de scripteur (habile ou éprouvant des difficultés)?

Les résultats des deux premières questions de recherche ayant déjà été publiés (Blain et Painchaud, 1999), je présenterai surtout les résultats de la dernière question.

Méthodologie

Participants

Trente-cinq élèves ont été choisis à partir d'un bassin de deux classes de 5e année (53 élèves au total) d'immersion précoce et partielle de la commission scolaire Baldwin-Cartier située dans l'Ouest de l'Île de Montréal. Nous avons sélectionné les enfants dont les deux parents sont anglophones et qui parlent majoritairement en anglais à la maison d'après les réponses à un questionnaire (Margellou, 1988; Maravélaki, 1994).

Afin de former les deux groupes de quatre élèves dont nous voulions examiner les interactions verbales, nous avons choisi les enfants dont la compétence en L2 est équivalente mais dont les habiletés d'écriture diffèrent. Afin d'évaluer la compétence en L2, nous nous sommes basées sur les résultats aux tests de compréhension oral et écrite en français. Nous avons choisi les enfants parmi ceux ayant obtenu un résultat à plus ou moins un écart-type de la moyenne. Afin de choisir quatre scripteurs forts et quatre moins habiles, nous avons évalué la qualité de leurs compositions rédigées en anglais, leur L1 et par la moyenne de leurs notes du bulletin de l'année précédente en écriture langue maternelle.

Intervention pédagogique

Les 35 participants se sont rencontrés deux fois pour chaque composition. Ils rédigeaient d'abord un premier brouillon. Ensuite, ils se regroupaient pour rétroagir d'abord sur le fond. Ils lisaient à tour de rôle leur texte à haute voix. À la suite de cette lecture, les pairs faisaient des commentaires positifs, posaient des questions et faisaient des suggestions. Les scripteurs avaient alors du temps pour modifier individuellement leur texte. Ils se rencontraient alors une seconde fois pour corriger la forme en expliquant l'origine de l'erreur.

Collecte des données

Nous avons conservé le premier brouillon et la copie finale de trois compositions pour les 35 participants. Pour les huit élèves dont nous avons enregistré les interactions, nous avons aussi gardé le texte intermédiaire de la 2e composition, celui qui précédait la 2e rencontre consacrée à la correction des erreurs. Nous avons également enregistré et transcrit toutes les interactions verbales de ces huit participants pour cette deuxième rédaction. Chaque groupe de quatre a participé à deux rencontres soit une portant sur le contenu du texte, l'autre sur la forme. Il faut préciser que les autres participants suivaient les mêmes procédures pour toutes les compositions même si nous n'avons pas enregistré leurs interactions.

Instruments de mesure

Afin de répondre à la première question spécifique de la recherche (Les commentaires des pairs émis lors des GRÉRÉ se retrouvent-ils sous forme de révisions dans les textes subséquents?), nous avons comparé le contenu des interactions avec les révisions effectuées pour tous les brouillons de la deuxième composition des huit participants afin de vérifier si les changements apportés avaient été influencés par les commentaires des pairs. Nous avons classifié les commentaires verbaux et les révisions textuelles selon la liste des catégories élaborée par Gere et Stevens (1985), traduite et adaptée par Messier (1989) et que nous avons modifiée pour qu'elle corresponde à notre grille d'évaluation analytique.

Afin de répondre à la deuxième question de recherche en ce qui a trait à la qualité de l'écriture, trois mesures ont été prises: 1) la longueur des textes calculée à l'aide du logiciel Word Perfect's Speller, 2) le score holistique selon la grille de Carroll (1980) utilisée par Vignola et Wesche (1991), et 3) le score analytique selon une grille que nous avons élaborée en nous inspirant des grilles de De Koninck (1991), de Germain et Lapointe (1985), de Gervais et Noël-Gaudreault (1992), ainsi que de Vignola et Wesche (1991).

Pour répondre à la troisième question (Les effets sont-ils semblables ou différents selon le type de scripteur?), nous avons comparé les révisions, les commentaires ainsi que la qualité de l'écriture des quatre scripteurs forts et des quatre scripteurs faibles.

Résultats

En examinant le nombre de suggestions que les élèves ont choisi d'ignorer, celles qu'ils ont choisies d'accepter, de même que le nombre d'évaluations positives, on remarque qu'il y a eu 17% de commentaires ne menant pas à des changements (les évaluations positives), 55% de commentaires intégrés sous forme de révisions et 28% de suggestions ignorées. Ce résultat semble aller dans le même sens que d'autres recherches où environ la moitié des commentaires émis lors des GRÉRÉ sont intégrés sous forme de révision (Samway, 1987; Nelson et Murphy, 1993; Mendonça et Johnson, 1994). Les commentaires et les révisions les plus nombreuses touchaient les catégories ´détailsª (nombre et suffisance des informations) et ´orthographe grammaticaleª.

En ce qui a trait à la qualité de l'écriture mesurée par le nombre de mots, le score holistique et le score analytique, elle a augmenté de façon significative (Sig 0,01) selon les tests-T entre le premier brouillon et la copie finale et ce, pour les trois compositions pour l'ensemble des participants. Pour les neuf catégories de la grille d'analyse, les scripteurs ont réussi à améliorer de façon significative la moyenne de leur score pour les détails et l'organisation des 2e et 3e textes ainsi que la cohérence du 2e texte. Les scripteurs ont amélioré de façon significative leur score pour la catégorie "syntaxe", mais seulement pour le 1e texte. Le score du code orthographique a augmenté de façon significative entre le premier brouillon et la copie finale des 1e et 3e textes. Seules les catégories "adaptation du texte au lecteur", "vocabulaire", "ponctuation" et "code grammatical" n'ont obtenu aucune amélioration significative.

En ce qui a trait à la troisième question de recherche, j'avais tout d'abord examiné les différences entre mes huit scripteurs forts et faibles sélectionnés pour l'enregistrement des GRÉRÉ. Or, il n'y a pas de différences marquées entre les quatre scripteurs forts et les quatre scripteurs faibles en ce qui a trait à la qualité de l'écriture tant pour le nombre de mots, le score holistique et le score analytique. De même, les différences en ce qui a trait aux interactions sont quasi-inexistantes. On remarque seulement que les pairs forts ont reçu une plus grande quantité de commentaires de fond tandis que les scripteurs faibles ont reçu plus de corrections d'ordre orthographique et grammatical. Par contre, il y a des différences plus marquées entre les deux types de scripteurs en ce qui a trait aux révisions de fond. En effet, les scripteurs forts semblent plus habiles à effectuer des changements majeurs que leurs pairs moins habiles.

Voyant cela, j'ai repris les résultats obtenus pour l'ensemble des 35 participants en les divisant en trois groupes, fort, moyen et faible selon les résultats aux tests de compréhension orale et écrite fait avant le début de l'expérimentation. Voici donc les résultats en ce qui a trait à la moyenne des scores analytiques obtenus par le groupe des forts et le groupe des faibles.

Comme on peut le constater, les scripteurs forts autant que les scripteurs faibles ont réussi à améliorer la qualité globale de leur texte selon le score cumulatif entre le premier brouillon et la copie finale pour les trois compositions (tableau 1). Les résultats en ce qui a trait au sous-total ´fondª montre la même tendance, c’est-à-dire que le groupe fort obtient des résultats toujours supérieurs au groupe faible sauf en ce qui a trait au brouillon de leur 1e texte où les faibles obtiennent de meilleurs résultats (tableau 2). Pour le sous-total ´formeª, les différences entre les deux groupes sont presque inexistantes sauf pour 1e brouillon du 2e texte où le groupe faible obtient une moyenne sensiblement moindre que leurs pairs forts (tableau 3). En examinant la catégorie ´détails' (tableau 4), on constate encore une fois qu’il y a une tendance à l’amélioration entre le 1e brouillon et la copie finale pour tous les participants sauf que les scripteurs forts s’améliorent nettement plus que leurs pairs. En ce qui a trait à l’orthographe grammaticale (tableau 5), il y a eu peu d’amélioration et presque aucune différence entre les deux types de scripteurs.

 

Conclusion

Selon les résultats de cette étude, il semble que les enseignants en immersion française peuvent mettre les pairs à contribution lors du processus rédactionnel puisque les participants à cette recherche ont réussi à améliorer la qualité de l’écriture entre leurs premières et leurs dernières versions de trois compositions différentes. Ces améliorations sont notables tant chez les scripteurs faibles que forts quoique ces derniers semblent plus avantagés que leurs pairs moins habiles.

Étant donné le petit nombre de participants à notre recherche et la méthodologie adoptée, il est impossible de généraliser les résultats. Cependant, ces résultats viennent indirectement appuyer les théories récentes sur le rôle de l'output dans l'acquisition des langues qui plaident en faveur de l'utilisation accrue des interactions entre pairs (Swain et Lapkin, 1995, 1998). En produisant un énoncé compréhensible, soit à l'oral soit à l'écrit, l'apprenant peut remarquer un problème d'ordre linguistique grâce à une rétroaction interne ou externe. La rétroaction verbale des pairs lors de la phase de révision de son texte pourrait possiblement jouer ce rôle. Cette rétroaction ´pousseraitª l'apprenant à modifier son énoncé, le forçant à faire des analyses linguistiques pour essayer de régler le problème en question (Swain et Lapkin, 1995).

Cette étude soulève aussi de nombreuses questions dont, entre autres, celle du transfert des apprentissages. En effet, l’aide des pairs a comme objectif ultime de rendre le scripteur autonome. Est-ce que les apprentissages faits en groupe sont transférés lorsque le scripteur rédige seul? Est-il capable de faire le même genre de révisions sans la rétroaction verbale des pairs? Il est possible que nos participants aient aussi fait des apprentissages autres que ceux observés directement par l'évaluation du produit fini. D'autres études, par le biais de protocole de pensée à haute voix et d'entrevues suivant les rencontres entre pairs, pourront confirmer ou infirmer les progrès des enfants dans la gestion du processus rédactionnel et dans l'acquisition de la langue seconde.

 

Références

Ammon, P. (1985). Helping children to write in english as a second language: Some observations and some hypotheses. In S.W. Freedman (Ed.), The acquisition of writing language: Response and revision (pp. 65-84). Norwood, NJ: Ablex.

Calvé, P. (1991). Vingt-cinq ans d'immersion au Canada: 1965-1990. Études de linguistiques appliquée, 82, 7-23.

Collier, V.P. (1992). The canadian bilingual immersion debate: A synthesis of research findings. Studies in Second Language Acquisition, 14, 87-97.

Cornor, U., & Asenavage, K. (1994). Peer response groups in ESL writing classes: How much impact on revision. Journal of Second Language Writing, 3(3), 257-276.

DeKonninck, Z. (1990). Études des textes informatifs oraux et écrits d'élèves francophones et d'élèves anglophones du primaire et du secondaire fréquentant des écoles pluriethniques au Québec. Montréal. Thèse de doctorat, Université de Montréal, Montréal, QC.

Germain, C. & Lapointe, R.E. (1985). L'évaluation de la communication écrite au primaire .Volume1: Élaboration d'une grille. Montréal: Les Éditions du Réseau.

Gervais, F. & Noel-Gaudreault, M. (1992). Élaboration et application d'une grille d'analyse de la cohérence / cohésion sur des textes d'élèves. In C. Préfontaine et M. Lebrun (Eds.), La lecture et l'écriture - Enseignement et apprentissage. Montréal, Québec, Les Éditions Logiques.

Genesee, F.H. (1987). Learning through two languages. Studies of immersion and bilingual education. Cambridge, Mass. : Newbury House.

Gere, A.R. & Stevens, R.S. (1985). The language of writing groups: How oral response shape revision. In S.W. Freedman (Ed.), The acquisition of writing language: Response and revision. (pp. 85-104). Norwood, NJ: Ablex.

Maravelaki, A. (1994). Comparaison de la performance en lecture en L1, L2 et L3 des élèves de secondaire 2, d'origine grec à Montréal. mémoire de maîtrise, Université de Montréal, Montréal, QC.

Margellou, A. (1988). L'attitude d'adolescents d'origine grec à Montréal à l'égard de leur langue maternelle. Mémoire de maîtrise, Université de Montréal, Montréal, QC.

Mendonça, C.O. & Johnson, K.E. (1994). Peer review negotiations: Revision activities in ESL writing instruction. TESOL Quarterly, 28(4). 745-769.

Messier, L. (1989). Influence de la rétroaction verbale des pairs sur la révision de productions écrites d'écoliers de sixième année. Montréal, Université de Montréal, mémoire de maîtrise de 2e cycle

Nelson, G.L. & Murphy, J.M. (1993). Peer response groups: Do L2 writers use peer comments in revising their drafts? TESOL Quarterly, 27(1), 135-141.

Rebuffot, J. (1993). Le point sur l'immersion. Centre Éducatif et Culture : Anjou, Québec.

Samway, K.D. (1987). The writing processes of non-native english speaking children in elementary grades. Rochester, NY: University of Rochester. Ph.D. diss.

Swain, M. & Lapkin, S. (1995). Problems in output and the cognitive processes they generate: A step towards second language learning. Applied Linguistics, 16(3), 371-391.

Swain, M. & Lapkin, S. (1998). Interaction and second language learning: Two adolescent French immersion students working together. The Modern Language Journal, 82(3), 320-337.

Urzua, C. (1987). "You stop too soon": Second language children composing and revising. TESOL Quarterly, 21(2), 279-304.

Vignola, M.-J. & Wesche, M.B. (1991). L'écriture en langue maternelle et en langue seconde chez les diplômés d'immersion française. Étude de linguistiques appliquée, 82, 94-115.

 

À propos de l’auteure

Sylvie Blain est professeure adjointe à la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Moncton. Elle vient de terminer son doctorat en didactique des langues à l'Université de Montréal. Elle a également enseigné en immersion française en Colombie-Britannique.

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