Apprendre en sciences, c’est apprendre à parler sciences :

des élèves de l’immersion parlent des réactions chimiques

Bernard Laplante

Université de Regina

Dans cette communication, nous illustrons comment des élèves de sixième année en immersion française en sont venus à ´parler sciencesª à la suite d’un enseignement explicite de certaines fonctions langagières.Nous précisons la nature de la tâche d’apprentissage à laquelle ces élèves ont à faire face tout en explicitant ce que nous entendons par enseignement explicite. Ensuite, nous décrivons les conditions dans lesquelles cette étude s’est déroulée. Puis, nous présentons des extraits de rapports d’expériences dans lesquels les élèves observent des réactions chimiques, écrivent des procédures expérimentales et formulent des conclusions. Nous concluons en discutant comment les résultats montrent qu’un enseignement explicite de ces fonctions langagières amène les élèves à ´parler sciencesª de mieux en mieux.

Tâche d’apprentissage et enseignement explicite de nature transactionnelle

Tous les élèves qui suivent des cours de sciences en immersion française ont à faire face à une tâche d’apprentissage de nature fort complexe. En effet, ils ont à s’approprier le contenu scientifique abordé en classe tout en apprenant à maîtriser le langage spécialisé de la science (Snow, Met et Genesee, 1989). De plus, ils doivent fournir, simultanément à leur effort d’apprentissage en sciences, un effort d’apprentissage important pour développer différents aspects de leur compétence de communication en français et ce, tant à l’oral qu’à l’écrit. (Laplante, 1997).

Le langage (par le biais de la langue d’usage) joue un rôle prépondérant dans l’enseignement et l’apprentissage des sciences. On peut même affirmer comme Lemke (1990) qu’apprendre en sciences, c’est apprendre à ´parler sciencesª. Ainsi un élève qui apprend en sciences devrait être capable, entre autres, d’observer et de décrire les objets d’étude, d’expliquer les phénomènes observés, de concevoir et d’écrire la procédure d’une expérience, de formuler une conclusion, de rédiger et présenter un rapport d’expérience.

Ces ´fonctions langagières académiquesª (´academic language functionsª ; Kidd, 1996) correspondent en sciences, aux différents genres littéraires utilisés par les scientifiques dans leur travail (Laplante, 1997 ; Lemke, 1990). Pour être en mesure de maîtriser ces fonctions langagières, les élèves doivent comprendre les concepts scientifiques impliqués, connaître et pouvoir utiliser correctement le vocabulaire nécessaire, les structures syntaxiques et les caractéristiques discursives appropriées à chacune de ces fonctions (Kidd, 1996 ; Snow, Met & Genesee, 1989).

Enseigner la science reviendrait donc à amener les élèves à maîtriser ces différentes fonctions langagières en tenant compte de leurs dimensions tant langagière que scientifique. Un enseignement explicite de nature transactionnelle de ces fonctions repose sur des stratégies et des méthodes empruntées à l’enseignement des sciences et à celui de la langue. Il peut facilement se produire lors de courts épisodes analytiques qui s’insèrent à l’intérieur d’activités de sciences comme les leçons formelles et les expériences au laboratoire. Cet enseignement adopte une démarche ternaire que certains appellent la ´valse à trois tempsª (Lentz, 1994). Dans un premier temps, l’enseignante part de ce que les élèves sont capables de faire et de dire pour les amener à accomplir la fonction à l’étude. Dans un deuxième temps, elle interagit avec eux de façon à enrichir/ complexifier leur habileté à accomplir la fonction. Après une certaine pratique et, dans un troisième temps, l’enseignante amène les élèves à objectiver ce qu’ils viennent de faire pour qu’ils réalisent et comprennent les caractéristiques syntaxiques et discursives de la fonction étudiée.

Conditions de l’étude

Cette étude s’est déroulée lors de la mise à l’essai d’une unité de sciences sur les réactions chimiques (Laplante, 1996) Elle a impliqué des élèves de deux classes de sixième année fréquentant deux écoles d’immersion française de l’Ouest canadien (automne 1997). Une classe contenait 25 élèves alors que l’autre en avait 20. Nous avons voulu être aussi respectueux que possible des enseignantes, des élèves et de la façon dont ´les choses se déroulent normalement en classeª. Ainsi, les élèves ont été amenés à participer à des activités semblables à celles qui auraient pu se dérouler dans n’importe quelle classe de sixième année lors de cours de sciences. Toutes les données de recherche ont été produites lors des activités effectuées en classe et, dans certains cas, à la maison. Les documents écrits produits par les élèves (observations, rapports d’expériences et tests) ont été photocopiés pour être analysés plus tard.

Présentation des données de recherche

Les données de recherche présentées ici nous permettent de suivre l’évolution de l’habileté des élèves à ´parler sciencesª. Nous discuterons de l’évolution de trois fonctions langagières particulières : observer une réaction chimique, écrire la procédure d’une expérience, formuler une conclusion.

Faire des observations

Avant l’enseignement explicite de comment observer, seulement 26% des observations sont écrites en phrases complètes. De nombreuses phrases n’ont pas de sujet (ou alors un sujet comme ´saª, ´caª ou ´ilª). D’autres phrases ne possèdent pas de verbe (ou alors un verbe comme ´il y aª ou ´estª). Le sens de certaines observations reste ambigu. Après l’enseignement explicite de cette fonction langagière, les observations des élèves sont de plus en plus complètes et précises. De façon générale, elles sont plus nombreuses, écrites en phrases plus complexes et décrivent de façon plus exacte le phénomène à l’étude. Elles font appel à plus de noms (0.69 à 1.33/observation) et plus de compléments circonstanciels (0.08 à 0.18/observation).

Le Tableau 1 présente les fiches d’observations de 3 élèves lors d’une expérience où ils devaient dissoudre deux ´pincéesª de sulfate de cuivre dans 20 ml d’eau pour ensuite y mettre une ´pincéeª de limaille de fer. Le Tableau 2 illustre l’évolution de cette fonction langagière lors de trois expériences.

TABLEAU 1 : Fiches de trois élèves qui ont observé la réaction du sulfate de cuivre et le fer

Fiche d’observations très complète d’un élève (25% des élèves ; m : 10 obs et 53 mots)

Quand tu mets le CuSO4 dans l’eau froid, le CuSO4 turn blue. Le CuSO4 dessous l’eau Quand tu ajjoutent le fer l’eau change a claire encore et le fer change orange. Le buchon est chaude. Il y a des bules. ça sens comme la rouille. L’eau devient brun. le sent est plus fort.

Fiche dobservations moins complète d’un élève (33% des élèves ; m : 8.2 obs et 41 mots)

Le l’eau change de couleur (bleu) et le CuSO4 va a la bas, aprs le CoSO4 desolve. Le Fer tourne gris rouge et va au bas. Ça sent comme la métal. L’eau est chaud. L’eau tourne claire. Il ya des boule.

Fiche dobservations incomplète d’un élève (42% des élèves ; m : 4.2 obs et 18 mots)

Il a tourener de couleur. Il y a de bouble. Il a rest sur le bas de continant. Il a changer blanch et maintenant le l’eau est chaude.

 

Tableau 2 : Analyse syntaxique et sémantique des observations de trois réactions chimiques

Pourcentage des observations ayant 1, 2 ou 3 groupes syntaxiques

Pourcentage de fiches d’observations complètes

Date 97

Expérience

1 groupe

2 groupes

3 groupes

in-complètes

moins complètes

complètes

29 s

magnésium

14%

60%

26%

63%

29%

8%

14 o

Soufre

3%

27%

70%

55%

20%

25%

21 o

Sulfate c et fer

3%

22%

75%

42%

33%

25%

 

Écrire la procédure d’une expérience

Avant l’enseignement explicite de comment écrire la procédure d’une expérience, 12% des élèves suggèrent une procédure complète lors d’une expérience où ils avaient à mettre des sous dans le vinaigre. Ces élèves incluent les étapes importantes et précisent certaines des quantités nécessaires. Après l’enseignement explicite de cette fonction langagière, le taux de réussite atteint 48%, puis 63% alors qu’il y avait encore plus d’étapes à inclure.

Prises dans leur ensemble, les procédures suggérées par les élèves sont de plus en plus complètes et précises. Elles contiennent de plus en plus d’étapes. Elles font appel à plus de verbes directifs (comme mettre, placer, plier et brasser). Elles précisent le nom des substances (comme eau, vinaigre et sulfate de cuivre), la quantité à ajouter (comme 3 ou 4 mm, 2 pincées et 20 ml) et là où elle doit l’être (comme dans l’éprouvette, le vase de Pétri, le pot). Le Tableau 3 illustre cette évolution.

Tableau 3 : Analyse sémantique et syntaxique des procédures de trois expriences

Date 97

Expérience

Pourcentage de procédures

Nombre détapes (E), de mots (M) et de verbes (V) dans les procdures

complètes

incomplètes

complètes

incomplètes

E

M

V

E

M

V

29 s

Sous et vinaigre

12%

88%

3

27

3.5

2

15

2

14 o

Soufre qui brlûe

48%

52%

4

14

4

3

10

3

25 n

Blanc d’oeuf

63%

37%

6

40

7

5

27

5

Formuler une conclusion

Avant l’enseignement explicite de comment formuler une conclusion, 12% des élèves n’incluent tout simplement pas de conclusion dans leur rapport d’expérience. Plus de 82% des élèves n’incluent que des observations marquantes. Après un tel l’enseignement, de plus en plus d’élèves sont en mesure d’inclure une conclusion complète. Ainsi, lors de la première expérience, ce taux n’est que de 6%, mais il passe à 26% et puis 93% lors des expériences subséquentes. De plus en plus d’élèves sont capables de montrer pourquoi, à la lumière des indices de réactions qu’ils ont pu observer, il s’est produit une réaction chimique. Ainsi, ce pourcentage passe de 6% lors de la première expérience à 16%, puis 86% lors des expériences subséquentes. Le Tableau 4 présente les conclusions de 5 élèves à la suite d’une expérience où ils ont fait brùler du sucre dans une petite cuiller, alors que le Tableau 5 illustre l’évolution de l’habileté des élèves à formuler une conclusion.

Tableau 4 : Conclusions formulées la suite de l’expérience avec le sucre

Conclusions n’incluant qu’une observation marquante (7% des élèves)

- il devine solide et il a de que il aller en feu

-le sucre a brule et fais un noiveau substance

Conclusion incluant la notion de réaction chimique (93% des élèves)

-réaction physique parce que ces la même substance au début mais au fin ça devient un réaction chimique

Conclusions incluant aussi une explication de la réaction (86% des élèves) :

-Cest un reaction chemique parce que ca change de couleur et a va ens de flames

- Non, parce que tu fond du sucre. Ça change d’état. Mais après que ça change de couleur, c’est un réaction chimique.

 

Tableau 5 : Analyse des conclusions de 3 expriences faites par les lves

Date 97

Expérience

pas de conclusion

observation marquante

réaction chimique (avec une raison)

29 s

Sous et vinaigre

12%

82%

6 % (6%)

25 n

Cuire du blanc doeuf

5%

69%

26% (16%)

15 d

Brûler du sucre

0%

7%

93 % (86%)

 

Discussion des résultats de recherche

Les données présentées et analysées ici illustrent qu’en adoptant un enseignement explicite de nature transactionnelle des fonctions langagières, les élèves sont en mesure de ´parler sciencesª de mieux en mieux. Plus précisément, leurs observations sont de plus en plus complètes et précises. Elles sont plus nombreuses, écrites en phrases plus complexes et font appel à plus noms et d’adjectifs. Elles décrivent de façon plus exacte les réactions chimiques observées. Les procédures expérimentales suggérées sont également de plus en plus complètes et précises. Elles contiennent plus d’étapes. Elles font appel à plus de verbes directifs, précisent le nom et la quantité des substances à ajouter, et ce, même si les expériences deviennent de plus en plus complexes. De la même façon, les conclusions mises de l’avant montrent que de plus en plus d’élèves sont en mesure de revenir sur leur hypothèse et expliquer pourquoi, en tenant compte des indices de réaction observés, il s’est produit une réaction chimique. En faisant appel à l’ensemble de ces micro-fonctions langagières, les élèves sont en mesure de rédiger des rapports d’expérience de plus en plus complets.

Mettre l’accent sur les fonctions langagières dans son enseignement des sciences est plus qu’une simple porte d’entrée à l’enseignement et l’apprentissage des sciences en immersion française. Petit à petit, les élèves s’approprient certains éléments du discours scientifique et en arrivent à véritablement ´parler sciencesª.

Nous aurions aimé disposer de plus de temps afin de pousser les choses plus loin. Plus particulièrement, nous aurions aimé donner une place encore plus importante à la dimension scientifique, entre autres à la complexification du concept de réaction chimique chez les élèves. Cependant, compte-tenu des besoins langagiers des élèves, cela ne nous a pas été possible. Il faut réaliser qu’à chaque leçon toute enseignante fait face à une décision particulièrement difficile, et ce, parmi tant d’autres. Il lui faut décider sur quels objectifs faire porter son enseignement tout comme sur quelle micro-fonction elle se concentrera. Ainsi, il serait difficile et sans doute peut productif de tenter d’enseigner simultanément et, à partir de la même expérience, deux ou trois micro-fonctions. Il faut savoir choisir, procéder de façon séquentielle et être assez flexible pour s’ajuster aux besoins des élèves. De plus, l’enseignante doit arriver à intégrer de façon significative la dimension science à la leçon.

Références

Kidd, R. (1996). Teaching Academic Language Functions at the Secondary Level. The Canadian Modern Language Review, 52, 285-307.

Laplante, B. (1996). Les réactions chimiques : unité de travail en sciences pour les élèves de l’intermédiaire (document miméographié).

Laplante, B. (1997). Teaching Science to Language Minority Students in Elementary Classrooms. New York State Association for Bilingual Education Journal, 12, 62-83.

Lemke, J. L. (1990). Talking Science: Language, Learning and Values. Norwood: Oxford University Press.

Lentz, F. (1994). Enseigner / apprendre les sciences et la langue au secondaire : deux facettes indissociables . Le Journal de l’immersion Journal, 17(2), 47-52.

Snow, M. A., Met, M., & Genesee, F. (1989). A Conceptual Framework for the Integration of Language and Content in Second/Foreing Language Instruction. TESOL Quarterly, 23, 201-217.

 

À propos de l’auteur

Bernard Laplante,Ph.D, est professeur agrégé à la Faculté d'éducation de l'Université de Regina. Il offre des cours de didactique des sciences et des mathématiques aux étudiants de Baccalauréat en éducation française. Il poursuit depuis plusieurs années des recherches sur l'enseignement des sciencesen langue seconde. Ses autres intérêts de recherche touchent aux portfolios langagiers et à l'identité professionnelle des enseignants.

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