Vol. VIII No. 2
May 1996



Editorial

Teachers Ask

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Teachers Ask
"Quand employer le tu par opposition au vous?"

Un simple recensement des écrits des années 1980 (Canale & Swain 1980; LeBlanc 1980; Savignon 1983) et 1990 (Bachman 1990; Wesche 1992) nous démontre que la compétence de communication est un phénomène à plusieurs aspects. Il s'agit effectivement d'un ensemble complexe de compétences de nature linguistique, sociolinguistique, culturelle, organisationnelle ou discursive, stratégique textuelle, et pragmatique. Or, toutes ces compétences existent dans un état d'interdépendance ce qui fait qu'une fablesse dans un seul de ces domaines entraîne malheureusement une faiblesse de communication en général.

Un problème de communication qui survient constamment dans le parler de nos élèves et que l'on classifie le plus souvent comme étant d'ordre sociolinguistique, c'est l'emploi du tutoiement par oppostion au vouvoiement, c'est-à-dire, le tu et le vous. Ce problème s'explique en partie par le fait que dans l'esprit de beaucoup d'enseignants, il s'agit tout simplement d'une question de grammaire dans un sens uniquement formel, vide de tout sens sémantique et pragmatique. On enseigne implicitement que le tu représente le singulier et que le vous indique le pluriel, voilà! Or tout manuel de grammaire française explique que le «le vous n'est pas toujours pluriel, qu'il est singulier quand il est la forme polie de la deuxième personne du singulier; tu est la forme familièere. On emploie tu dans une famille, entre les enfants et leurs parents. On emploie aussi tu aveccertains amis: en particulier sur un campus les jeunes se tutoient. Mais dans l'incertitude, employez vous». (Ollivier 1993, p. 36)

On constate donc que d'après l'usage couramment respecté par la vaste majorité des francophones partout dans le monde le tu s'emploie entre amis ou collègues et en parlant aux enfants, mais dès que l'on sort de son milieu familier, il faudra employer le vous. Sinon, on risque d'être trop familier, de s'aventurer dans l'espace psychologique privé de son interlocuteur, bref, on va démontrer une lacune de compétence de communication. En encourageant nos apprenants à employer le tu en s'adressant à nous autres enseignants par souci de les faire «se sentir à l'aise», nous les privons d'une part d'une connaissance et d'une habileté essentielles dans les rapports avec le monde francophone à l'extérieur de nos salles de classe et par extension nous nuisons à leur accès facile et gracieux aux relations sociales. Le tu mal placé choquera le locuteur natif et son interlocuteur non natif en restera confus et gêné.

Comme d'habitude, Wilga Rivers a des mots de sagesse à ce sujet:
Quant à l'emploi du tu par les élèves étrangers, son utilité est quelque peu controversée. Certains affirment que les étrangers n'atteignent que rarement le niveau d'intimité où le tu dans le parler d'un étranger peut froisser. Il va sans dire que les élèves français se tutoient toujours et que l'emploi du tu devient de plus en plus acceptable dans diverses situations de la vie contemporaine en France, surtout chez les jeunes. C'est quand même une question délicate. Un manque de sensibilité à l'occasion où le tu serait inapproprié peut bien choquer. Outre cela, les élèves qui n'ont pas eu l'expérience fonctionnelle des situations où le tu s'oppose au vous ne comprendront pas les implications interpersonnelles connotées par cette opposition. (Rivers 1991, p.24)

Rivers nous conseille donc d'habituer nos élèves à cette distinction. On commencera par les entraîner à employer le vous en s'adressant à nous et à utiliser le tu entre eux. Les occasions expérientielles où l'opposition tu/vous est en jeu abondent dans toute classe interactive et les élèves arriveront petit à petit à apprécier les nuances impliquées dans cet usage particulier mais non pas unique au français.

Un deuxième problème dans l'usage du vouvoiement/tutoiement, c'est la tendance à employer un tu pluriel. En effet, certains enseignants emploient le tu en s'adressant à la classe tout entière, ce qui paraît très bizarre. On comprend facilement pourquoi nos élèves demeurent fort perplexes devant l'opposition tu/vous si cette opposition n'est pas respectée dans le parler de leur modèle. Dans certains manuels, le texte s'adressant à l'individu et les auteurs visant un seul lecteur, un enfant par dessus le marché, on trouve l'emploi du tu. Cependant dès que l'enseignant se trouve devant un groupes d'élèves et que ses paroles s'adressent à plus d'une personne, le vous est de rigueur.

En tant qu'enseignants, nous avons la lourde responsabilité de servir de modèles de langue devant nos élèves et de leur fournir des occasions constantes de passer du niveau structural/formel aux aspects sémantiques et pragmatiques de la langue. Pour y réussir il faudra chercher à parler et à faire parler un français correct, aisé et riche et à enseigner en fonction des besoins des apprenants et en fonction es défis que leur présentent certains éléments langagiers, faute de quoi ils nous quitteront handicapés sur tous les plans de la compétence de communication.