Vol. VII No. 1
September 1994
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Enseigner le Français en Français...
Comment?
(* Le texte suivant et une collection des extraits d'un
article de Pierre Calvé intitulé "Pour enseinger le français...
en français" qui a été publié dans la Revue
canadienne des langues vivantes en octobre, 1993.)
"... un obstacle majeur à l'apprentisssage, le fait
d'ouvrir la porte à la langue maternelle, d'utiliser celle-ci comme
"dépanneur" devant toute difficulté de communication, empêche
et le professeur, et les étudiants, de développer progressivement
(et beaucoup plus rapidement qu'on ne le croit généralement)
les stratégies qui leur permettront justement de contourner ces difficultés
et d'en arriver à pouvoir fonctionner exclusivement, ou presque,
dans la langue seconde en classe."
"Si la "méthode" qu'on utilise ne permet absolument pas d'enseigner
le français en français, alors il faut changer de méthode!"
"...Quant aux moyens spécifiques pouvant aider à éviter
le recours constant à la langue maternelle, on peut mentionner
les suivants...
a) Adopter une approche franchement communicative
L'essence de l'approche communicative réside, comme on sait, dans
l'utilisation de la communication elle-même comme moyen principal
de faire acquérir la maîtrise du code linguistique... Par
définition, une classe communicative favorisera donc beaucoup plus
qu'une approche structurale l'usage de la langue seconde comme langue
d'enseignement et d'apprentissage... Ce n'est qu'une telle pédagogie,
centrée d'abord sur l'apprenant plutôt que sur la langue
ou sur le manuel, sur le contenu, le message, plutôt que sur la
forme, qui redonnera aux programmes de base la crédibilité
qui leur revient dans le cadre d'un enseignement officiellement axé
sur la communication.
b) Se faire filmer
Comme le mentionnent Duff et Polio (1990, p. 163), les enseignants ne
sont pas toujours conscients de l'usage qu'ils font de la langue maternelle
dans leur enseignement et le film devient alors un bon moyen de les éveiller
à leur propre pratique à cet égard. De fait, une
telle auto-observation sélective peut être selon moi très
révélatrice relativement à bien d'autres pratiques
pédagogiques, telles que sa façon de réagir aux erreurs,
le temps qu'on accorde à chacun pour s'exprimer, le type et le
nombre de questions qu'on pose, etc.
c) Adapter son langage pour le rendre compréhensible
Selon ces mêmes auteurs, l'enseignant qui veut fonctionner exclusivement
dans la langue seconde devra utiliser certaines stratégies verbales
telles que la répétition, le ralentissement du débit,
la simplification de la syntaxe et du vocabulaire, l'usage de structures,
d'expressions à haut niveau de fréquence... Il est important
toutefois de ne pas abuser de ce procédé, et surtout de
ne pas en faire une pratique permanente, car c'est à l'apprenant
qu'il appartiendra éventuellement de s'adapter à un langage
authentique, faute de quoi il finira par ne comprendre, comme cela se
produit trop souvent, que son professeur.
d) Présenter le vocabulaire nécessaire au préalable
La présentation préalable de mots-clés reliés
à un thème permettra aux étudiants de comprendre
des énoncés dont la complexité se situe bien au-delà
de leur niveau de compétence dans la langue. Ces mots, ou expressions-clés,
peuvent même toucher la terminologie grammaticale dont on prévoit
avoir un besoin constant au cours de ses leçons. ... Il faut dire
toutefois qu'autant que possible, les étudiants devraient avoir
la chance de découvrir par eux-mêmes le sens des mots à
l'aide du contexte, celui-ci constituant un élément essentiel
de la compréhension.
e) Utiliser des moyens non verbaux
Tous les enseignants de langue seconde connaissent bien l'importance des
objets concrets, des images, des gestes, des mimiques comme aides à
la compréhension de la langue seconde, surtout en début
d'apprentissage... Mais quel que soit le niveau de l'étudiant,
il est clair que si un enseignant se donne la peine d'apporter en classe
quelques menus d'un restaurant français afin de les faire étudier
en équipes en prévision d'une sortie de classe, il aura
plus de succès que s'il se contentait simplement d'enseigner le
vocabulaire de l'alimentation à l'aide des traditionnelles listes
de mots.
f) Établir un ensemble de signaux, de rituels pouvant servir
de points de repères.
Les recherches de Wong-Fillmore (1985) lui ont permis de constater que
les classes qui connaissaient le plus de succès étaient
celles où les enseignants offraient aux étudiants des points
de repères, des signaux, des scénarios clairs et constants
quant au déroulement de la leçon et à ce qu'ils attendaient
d'eux à chaque moment de la classe. Cette pratique, en plus de
favoriser une meilleure gestion du temps, offre aux étudiants des
repères avec lesquels ils deviennent vite familiers et qui, par
conséquent, les aident à fonctionner beaucoup plus confortablement
dans une classe entièrement conduite dans la langue seconde...
g) Compter sur la négotiation du sens, la débrouillardise
des étudiants
Les recherches de Tardif (1991) et de Weber (1991) ont bien montré
la très grande place qu'occupent en immersion l'interaction, la
négotiation du sens, non seulement entre enseignants et apprenants,
mais entre les apprenants eux-mêmes... Weber, pour sa part, illustre
bien à quel point les étudiants, lorsque confrontés
à des situations, des productions verbales dont ils veulent vraiment
saisir le sens, font montre d'une étonnante capacité de
se trouver des "pistes de significations" et d'utiliser toute une foule
de moyens ("un échafaudage de significations") de contourner les
problèmes de communication et de donner un sens à leur expérience.
Bien entendu, une telle pédagogie implique que les activités
de classe soient choisies de façon à favoriser une telle
négotiation du sens et que l'apprenant soit personnellement intéressé
à participer à l'échange de messages qui est la raison
d'être de cette interaction."
"Ce sont là des leçons dont les programmes de base peuvent
sûrement tirer profit, non seulement en ce qui a trait à
l'extraordinaire dynamique qui se développe dans une classe lorsqu'elle
est entièrement conduite en français, mais aussi quant à
l'importance de faire une très grande place, dans son enseignement,
aux activités favorisant l'interaction, la négotiation du
sens, en d'autres termes, la communication elle-même, comme outil
principal d'enseignement et d'apprentissage de la langue seconde." (Calvé,
1993)
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